J’ai vraiment appris les plantes lorsque j’étais gardienne de cabane au-dessus d’Arolla. La cabane de la Tza située à 2607 mètres était dans un univers de roches. En m’installant là-haut il y a presque 50 ans, sans eau, ni électricité, ni téléphone…. J’avais pris conscience de l’importance de la vie dans la nature.
J’avais appris l’emploi de quelques plantes avec ma belle-maman qui m’emmenait chaque année au printemps les récolter. Elle cherchait les plantes selon des endroits précis et n’aurait pas cueilli par exemple le plantain dans un autre endroit que celui qui lui paraissait depuis son plus jeune âge le meilleur. Elle l’avait appris de sa grand-mère.
Elle ne cueillait que la quantité qui allait lui servir dans l’année… jamais plus. Elle conservait les plantes séchées dans des sacs en toile, à l’abri de la lumière.
Elle m’avait indiqué l’utilisation par exemple de l’Arnica Montana, belle plante que tout le monde connaît.
J’essayais toujours d’en apprendre plus, mais ma belle-mère pensait chaque fois que je lui demandais des explications, que j’avais encore le temps de connaître ses secrets.
C’est ainsi que j’ai compris le sens de la tradition orale.
La tradition (de trado, livrer, transmettre) c’est ce qui se transmet depuis l’origine des temps ou du moins de l’homme, chaîne ininterrompue depuis le temps dit de la perfection à nos jours.
On rencontre des obstacles à la transmission de la tradition orale : d’abord le langage et ensuite le vocabulaire, par exemple, une vieille dame me parlait d’une plante qu’elle avait séchée… pas moyen de la reconnaître, et pas moyen de savoir de quelle plante il s’agissait.
Il y a une forme de dégénérescence dans ces coutumes, car nous sommes devant une quasi-impossibilité de retrouver les points de départ et à quoi se réfèrent ces points de départ.
De plus, la tradition comporte toute une série de secrets.
Principalement lié au fait qu’une certaine connaissance ne peut être transmise qu’au travers d’une initiation déterminée et qui exige de celui qui la reçoit, des qualités particulières.
La seconde réside dans cette incommunicabilité, dictée par les paroles de l’Evangile : « Ne jetez pas vos perles aux pourceaux, de peur qu’ils ne les foulent aux pieds et se retournant, ne vous déchirent. »
Dans les coffres-forts des grands laboratoires pharmaceutiques, on trouve des formules chimiques des molécules qui ont toutes été copiées de modèles naturels. Plus précieuses que l’or, ce sont elles qui déterminent l’avenir de ces grandes multinationales et influencent leurs cours en bourse.
On comprend alors l’avidité qui anime les chercheurs de tous les pays lorsqu’il s’agit de percer à jour le secret des plantes médicinales qu’utilisent encore certains praticiens dans les régions les plus reculées du monde.
Tels les conquistadors, des explorateurs mandatés sont prêts à tout pour découvrir l’eldorado et obtenir les précieux remèdes.
Mais ceux qui ont été appelés sauvages, apprennent vite nos coutumes et beaucoup découvrent aujourd’hui qu’ils ont été floués.
Désormais, ils gardent leurs remèdes pour eux et les dissimulent à l’homme blanc qui a perdu leur confiance.
Tant de plantes médicinales restent pourtant à découvrir. Tant de savoirs traditionnels et de ressources naturelles qui pourraient sans doute sauver des vies si l’on pouvait encore y avoir accès.
La vie dans le Pays d’Evolène, à l’époque de la grand maman de grand maman Fauchère : une vallée coupée du monde, par 12 heures de marche…. pas de véhicule…ni hélicoptère…
Les paysans avaient depuis toujours observé la nature et le comportement de leurs animaux. Ce que les vaches ne mangeaient pas, ils ne le consommaient pas non plus !
Ainsi on peut comprendre le pourquoi de la tradition orale.
On n’écrivait pas, on écoutait l’aïeul… tout s’apprenait ainsi.
Il manquait toujours des légumes pour compléter les potées, alors les familles plantaient des carottes, des choux, des poireaux et des pommes de terre.
En effet, la potée, repas principal de toutes les familles montagnardes, se préparait le matin, avec la cuisson de la couenne de lard ou du bout de la viande séchée que l’on cuisait dans l’eau, ensuite on ajoutait les légumes et les pommes de terre. En tout dernier, on allait cueillir derrière le mayen, l’épinard sauvage, la berce et l’ortie que l’on ajutait à la préparation.
Avec tous les animaux de la ferme, les femmes ont tout de suite compris comment utiliser les gras.
En huile de massage, le gras des marmottes était précieux, on l’utilisait pour les coups, les blessures, les muscles, les os.
La même observation se faisait au niveau des végétaux. Rapidement dans la montagne, on plantait des cassis ; car on savait que le cassis était bon pour « tout ». Ribes nigrum excellent pour le travail des reins comme expliquait ma belle-mère. Il calme le stress et travaille pour le sang.
Le cassis est aussi un excellent anti inflammatoire.
Les femmes se concertaient entre elles, elles apprenaient tout des « femmes sages » et préparaient leurs tisanes.
Par exemple : elles employaient beaucoup cette préparation réservée aux femmes : alchémille (Alchemilla vulgaris) – achillée – (Achillea millefolium), toutes deux progestérone like et la sauge (Salvi officinalis). appelée aussi « celle qui sauve » oestrogène like.
Une tisane combinée des 3 plantes leur donnait la possibilité de soigner les douleurs menstruelles, d’aider à l’accouchement, ou de faciliter avec la sauge la digestion etc.
La femme qui paraissait le plus au courant des plantes, devenait la femme sage du village. Elle avait appris de la précédente, la manière de soigner, d’accoucher, d’aider, de soigner avec les plantes.
Pour aider à la reconstruction osseuse, on allait chercher des orties, parfois de la consoude. Il fallait sécher les plantes et on les mélangeait avec de la coquille d’œuf, ensuite on fabriquait une pâte que l’on appliquait sur la cassure.
Je me suis aperçue, en parlant avec des vieilles dames, que sans connaître le pourquoi des choses, elles agissaient d’une manière innée, selon leur ressenti, mais d’une façon presque scientifique. Comme si elles avaient compris tout le sens d’une santé harmonieuse.
Elles faisaient attention aux minéraux, au sang, elles parlaient d’équilibre énergie, et comprenaient le parcours de la lymphe.
Dans mes nombreux dialogues, et échanges, j’ai saisi leur intérêt pour la santé globale.
Mes interlocutrices me parlaient en patois, elles prenaient des exemples vivants, comme par exemple :
Si tu fais attention à la force de vie du soleil, (on ne parle pas de bronzage), alors tu auras assez d’énergie pour travailler.
Ou encore, « il faut se lever avec le jour et se coucher à la nuit » afin de respecter le cycle de la vie et du sommeil ».
Je me souviens d’Euphémie, elle me racontait comment elle soignait ses enfants : en cas de bronchite, elle prenait un morceau de beurre et mélangeait avec du bon miel que sa maman lui avait donné. (A cette époque, le miel était un vrai « médicament »). Elle frictionnait la poitrine de ses enfants avec cette préparation, et les obligeait à garder le lit.
D’autres fois, elle prenait des oignons, les faisait revenir dans la poêle et les mettait entre un linge qu’elle posait ensuite sur la poitrine et le cou du malade.
Elle n’oubliait pas, comme toutes les mamans d’ailleurs, de mettre un oignon sous le lit des enfants pendant la période d’hiver.
Euphémie allait chercher de la pierre ollaire qu’elle râpait pour en faire une fine poudre genre talc que l’on utilisait pour les bébés. Cette pierre contient beaucoup de mineraux.
On allait cueillir de la sauge que l’on séchait.
Ensuite on mélangeait la sauge séchée réduite en poudre et le talc de pierre ollaire. Le tout était employé contre la transpiration des pieds. On mettait un peu de poudre dans les chaussures.
Et puis il y avait la lune ; il fallait planter tout ce qui pousse sur la terre à la lune montante et tout ce qui pousse sous la terre à la lune descendante, mais pas simplement comme cela, il fallait encore surveiller les planètes.
On parlait aussi de la beauté. Par exemple, les dames avaient leur arbre, leur bouleau dans la forêt. Au printemps, elles entaillaient l’écorce et récoltaient un petit peu de sève. Cette sève était mise dans de l’alcool, de la lie. Ensuite, les dames se partageaient l’alcoolat et chacune le complétait. Elles se faisaient des frictions sur les cheveux.
On utilisait aussi le clou de girofle contre les douleurs des dents.
On ajoutait du girofle (Syzygium aromaticum) dans la boisson de l’été, lorsque le temps des foins arrivait. Une sorte de café était fait avec de la chicorée, (Cichorium intybus), on prenait les racines de la plante qui étaient nettoyées, coupées et séchées, on ajoutait ces racines à une petite quantité de café et on ajoutait du sucre, un soupçon de lait et surtout du girofle et de la cannelle (Cinnamomum verum).La cannelle et le girofle les mettaient à l’abri des infections et des inflammations dues à la poussière de foin.
En écoutant ici et là les conseils des montagnards, j’ai compris qu’ils faisaient attention à 4 éléments :
Pour moi, la santé c’est comme l’image de l’ADN, une spirale :
Une spirale pour le sang
Une spirale pour la lymphe
Une spirale pour les minéraux
Une spirale pour l’énergétique
Un déséquilibre dans une de ces spirales et voilà le début des problèmes.