souriceauOn la reconnaissait de loin, la grande bâtisse. Ses hauts murs étaient faits de pierres presque noires, tant elles étaient vieillies par les ans.

L'orphelinat des Rosiers pouvait abriter plus de deux cents enfants. Toutes les directrices se faisaient appeler Madame Rose, ceci afin de permettre aux petits enfants de se souvenir du nom de leur maison.

Dans cette ville de soleil que l'on nommait Jérusalem, en plus de l'odeur du sable chaud et de celle sucrée des dattes mûries et si pleines de saveur, il y avait la guerre.

Dans l'orphelinat des Rosiers, il y avait donc et surtout des petites filles que la guerre avait rendues orphelines.

Madame Rose avait un coeur tendre, et si elle était obligée de serrer les cordons de sa bourse pour terminer ce mois de juin, elle n'avait jamais aucune restriction pour l'amour qu'elle donnait aux petites filles de son établissement.

Elle les avait habillées en bleu, la robe qui tombait jusqu'aux genoux était unique, mais pour donner un peu de gaieté à la vie, elle avait fait fabriquer pour chaque fillette, - le travail était fait par les grandes filles -deux cols, un blanc pour le dimanche et un bleu foncé pour la semaine. Les petites filles devaient en prendre soin et les laver quand il était nécessaire de la faire.

Un tablier aux carreaux blancs et bleus recouvrait le tout. Madame Rose aimait parfois se cacher à l'extérieur de la bâtisse et elle regardait "sa" maison. Il y avait une certaine douceur, un certain bien-être et les petites filles qui portaient toutes une longue tresse, couraient de-ci de-là. Le spectacle réchauffait le cœur de Madame Rose.

- tiens se dit-elle ce jour-là, que peuvent bien se raconter Myriam et Marie, assises sur l'escalier d'entrée du grand bâtiment.

Marie était âgée de cinq ans lorsqu'elle arriva aux Rosiers, Myriam, à peu près à la même époque en avait presque sept déjà. Cinq ans qu'elles étaient là, toujours ensemble et si différentes pourtant.

Toutes les deux, avaient eu des parents aisés, Marie avait habité un de ces grands appartements en duplex, tout en haut d'un somptueux immeuble à l'entrée de la ville. Et l'horreur avait touché sa famille. Après le bombardement, on n'avait retrouvé qu'une personne vivante dans l'amoncellement des gravats, la petite Marie qui était arrivée aux Rosiers, choquée. Il en avait fallu de l'amour pour lui rendre son sourire !

Myriam, c'était différent. Ses parents avaient été tués dans une embuscade; la belle maison blanche avait été vendue et elle était venue, d'abord, juste le temps de retrouver sa parenté et puis après plusieurs années, on avait déclaré la petite fille, seule et sans famille.

- tu crois, demandait Marie, que nous aurons un jour la chance d'être adoptées ?

- moi je veux une famille riche répondit Myriam, je veux pouvoir quitter ce pays, voyager et acheter enfin d'autres robes.

- mais ce n'est pas tellement important rétorquait la douce Marie, je préférerais une vraie famille, mais tu as quand même raison... une belle maison, une chambre pour moi et des poupées que je serrerais dans mes bras...

- Marie, fais attention avec cette branche d'arbre, non Marie ne touche pas ce lézard suppliait Myriam qui avait horreur et de se salir et de tout ce qui pouvait la salir.

Un immense éclat de rire fut la réponse de Marie et les deux fillettes, main dans la main, repartirent courir dans le jardin.

Un mois plus tard, c'était lundi, Madame Rose appela Marie dans son bureau afin de lui présenter ses futurs parents. Ils reviendraient la chercher le samedi.

Madame et Monsieur Haispoir avaient déjà un enfant de quatorze ans, Jean qui travaillait avec son père comme bûcheron. C'était des gens simples, humbles et doux de cœur.

- Tu sais Marie disait Madame Haispoir, il y a encore tellement de place dans mon cœur, voudrais-tu y habiter ?

Marie resta totalement hébétée ; en fermant les yeux, ressentant cette belle dame, elle savait que c'était une maman au cœur tendre qui lui tendait les bras.

Mais quand elle les avait rouvert, la robe fatiguée de la dame, l'habit trop simple de Monsieur, lui rappelaient qu'elle avait devant elle des gens pauvres...

- ne t'inquiète de rien ma petite Marie, réfléchis à nous. Tu as trois cœurs prêts à t'aimer, tu dois seulement prendre toi-même la décision. Nous reviendrons samedi, au revoir ma chérie !

Le soir au coucher, Myriam et Marie ne pouvaient s'arrêter de bavarder.

- toi dans une baraque de bûcheron... et la maison blanche, Marie, secoue-toi, tu n'accepteras pas, dis Marie... répond, tu ne vas pas me laisser pour ces gens pauvres...

Madame Rose avait dû intervenir pour les faire taire.

La fin de la semaine arriva, elles n'avaient toujours pas de solution, mais nos deux petites filles avaient usé toute leur salive et plus encore, à tenter pour Marie de voir clair, et pour Myriam, à convaincre son amie, d'attendre les gens riches qui se présenteraient bien un jour.

Le samedi à 14 heures, la famille Haispoir au complet était là. Marie en les revoyant senti son cœur battre bien fort, et les magnifiques cheveux noirs de la dame étaient si longs, avaient l'air si doux à toucher... Marie détourna son regard qui tomba sur les deux bras croisés du bûcheron, quelle force ! Ah j'aimerais bien être dans les bras d'un papa qui a de tels bras robustes. Elle se força de relever la tête et ses yeux tombèrent dans les yeux de Jean, miracle, ils étaient bleus... avec des cheveux noirs, quel contraste...

Madame Haispoir s'approchant lui dit: Bonjour Marie, nous sommes venus t'accueillir, je m'appelle Muriel, mais si tu abrèges comme Jean et Pierre mon mari, tu obtiendras Mumu, presque maman... dit-elle.

C'était un amour désintéressé, une capacité d'aimer immense et qui précipita Marie dans les bras de Muriel.

Le départ de Marie avait beaucoup perturbé la petite Myriam qui en perdait l'appétit. Pourquoi se répétait-elle, pourquoi Marie a-t-elle accepté d'être adoptée par des gens si simples ?

Myriam était devenue plus rigide, plus stricte, ne jouant plus dans la cour, lavant chaque soir ses cols afin de rester la plus impeccable de toutes. Je vais bien les obliger à me regarder !

C'est en automne que Madame Rose décida d'envoyer Myriam à la campagne, l'orphelinat devait s'occuper entre toutes les activités, de rentrer les pommes de terre, bien précieuses à la petite communauté.

C'est en boudant que la petite fille quitta la grande bâtisse, les enfants avaient avec eux un sac, une pelle et un pique-nique pour la journée.

Elle avait chaud Myriam, sous le soleil brûlant, ses cheveux collaient à son front et sa petite sueur s'épongeait sur son joli col.

Fuir se disait-elle ? Pour aller où ? Où est la belle maison blanche ? Perdue dans ses réflexions, Myriam n'avait pas vu un souriceau sortir de terre et se cacher dans le seau des pommes de terre.

A la fin de la journée, les enfants repartirent pour la grande maison des Roses. Myriam déjà se réjouissait de laver son col... quand elle sentit dans sa main des minuscules pattes... elle voulut ouvrir la main pour éloigner cet attouchement, mais les petites pattes du souriceau s'accrochèrent à sa manche.

Il la regardait avec une telle angoisse au fond de ses minuscules yeux noirs que Myriam stoppa net.

- que me veux-tu ! Tu vas me salir lui dit-elle.

- ne me laisse pas ici suppliait le souriceau, garde-moi dans ta poche, elle est si jolie et j'y ferais ma maison.

- impossible s'écria Myriam, moi, être la maison d'une souris !

Mais, une immense force, une force qu'elle ne connaissait pas en elle, l'obligea à prendre délicatement le souriceau et à l'installer dans la poche droite de sa robe bleue. Elle y mit son petit mouchoir dessus afin qu'il ne tombe pas.

Myriam ne se reconnaissait pas. Elle voulait jeter l'animal et à cet instant elle sentit comme une petite crispation sur sa hanche, le souriceau marquait son contentement.

Dans la grande chambre aux huit lits, sept petites filles étaient déjà aux lavabos pour se décrotter, elles étaient bien étonnées de voir, pour la première fois "Mademoiselle Moi-je", comme elles la surnommaient, arriver en dernier ! Elles furent plus encore étonnées, de la voir farfouiller dans sa table de nuit et mettre quelque chose dans le petit tiroir, seul endroit intime des petites filles.

Au souper, ce soir-là, Madame Rose leur avait fait ses fameux beignets aux pommes dont Marie raffolait tant...

Marie, murmurait Myriam, si tu voyais, j'ai un ami ! Et elle cacha sous la table un morceau de son beignet.

Madame Rose avait reçu des nouvelles de Marie qui était tellement bien avec ses nouveaux parents. Une seule ombre au tableau, Myriam son amie qui lui manquait.

Les membres de la famille Haispoir décidèrent de faire une surprise à leur nouvelle fille et ce samedi ils l'emmenèrent à l'orphelinat.

En retrouvant la grande bâtisse aux vieux murs, le jardin, en entendant les cris de ses anciennes camarades qui jouaient, en voyant arriver Madame Rose toujours aussi chaleureuse, Marie glissa sa petite main dans celle de papa Haispoir. Le brave homme regarda sa fille et lui ouvrit grands ses bras.

Qu'il faisait bon être entourée d'amour. Merci ! murmurait Marie. Myriam ne vit pas arriver Marie derrière son gros rocher dans le jardin. Elle était assise dans l'herbe et Marie l'entendait qui parlait... à un mignon souriceau installé au milieu du mouchoir de Myriam, il grignotait une noisette.

- je t'aime très fort lui disait Myriam. Je comprends maintenant ce que disait Marie, rien n'est important dans la vie, ni la maison blanche, ni les richesses, ni les cols toujours propres, mais l'amour que l'on peut donner et recevoir, ça c'est important. 

- Tu me comprends, souriceau ?

- Oui, il le comprend répondirent en cœur Madame Rose et les quatre de la famille Haispoir qui s'assirent à côté de Myriam.

Muriel pris la main de la petite fille et lui dit, vois-tu, nous avons reçu depuis l'arrivée de notre fille Marie, beaucoup d'amour dans notre maison. Il est à donner, le veux-tu ? Jean a besoin d'une autre sœur, Marie, de toi et nous deux d'une seconde fille et même d'un premier enfant souriceau.

- Si tu le désires, va préparer tes affaires dit Madame Rose.

Myriam se leva, pris son souriceau, le tendit à Jean et lui dit: tiens-le, pendant que je me prépare.

Marie et Myriam, main dans la main s'engouffrèrent dans la vieille maison grise.

- chère Myriam, dit Marie, tu sais en lui disant Mumu, tu peux manger les lettres et faire Maman.

Et dans le cœur de Myriam chantait maman ... maman. Elle se réjouit d'habiter tout-à-coup dans la petite maison du bûcheron, de renaître dans l'Amour.