lutin10Il était une fois, un pauvre berger et une bergère qui avaient deux petits enfants. Le premier Joseph avait cinq ans, il aimait la montagne et les grands espaces. Le second Jeannot, trois ans, chétif, ne se remettait pas d'une bronchite qu'il traînait depuis au moins quatre mois.

Ils étaient tous deux pauvrement vêtus, les culottes et chemises rapiécées ne tenaient pas bien chaud. Il faut dire que le pauvre berger n'avait pas de quoi payer le docteur. Alors on soignait Jeannot avec des plantes de la montagne, et du bon miel de leurs abeilles. 

Papa et maman s'habillaient des dons que les gens de la vallée leur faisaient. Maman qui était très habile de ses mains, avait reçu une vieille machine à coudre, à tourner à la main. Elle arrangeait tous les vêtements qui duraient, duraient...  jusqu'au moment où on les employait encore pour en faire une sorte de litière pour les petits agneaux tout nouveaux.  

Leur chaumière avait été construite en pierres entassées les unes sur les autres. En guise de toit, on avait d'abord mis de vieilles poutres usagées, puis par-dessus des tôles que le fermier de la vallée ne voulait plus. Papa avait été chercher de belles pierres plates qu'il avait mises sur le toit. C'était beau, solide et gardait la chaleur. Le soir, à la lueur de la lampe à pétrole, maman cousait une toile brune, bien dure. Elle en faisait un pantalon à Joseph qui tournait la machine à coudre. Il enviait un peu son petit frère Jeannot qui jouait aux "vaches". Ce n'était que des bouts de bois que papa et Joseph avaient taillé dans des plantes de rhododendrons. 

Ce soir‑là, papa comptait ses sous. L'hiver allait arriver et il y avait encore tant de choses à acheter. Les moutons qui dormaient dans l'étable, sous la chambre pour donner de la chaleur durant l'hiver, avaient eu une maladie en automne. On avait perdu trois agneaux... un manque à gagner certain.

Pauvre papa ! Comment allait‑il s'en tirer ? Tout le bois qu'il avait vu dans la forêt, allait bientôt être recouvert par la première neige. Comment faire ?  

Joseph qui ne perdait rien de l'anxiété de son papa se dit : ce soir je ne dormirai pas et j'écouterai papa parler à maman. Ce fut vite fait d'ailleurs, car il était temps de se coucher, il fallait économiser le pétrole.    

Dans la seule grande chambre du petit chalet de bois, il y avait un lit pour maman et papa. Sous le lit, il y avait des tiroirs que l'on ouvrait pour la nuit, et c'était là que dormaient les deux enfants. En dessus des lits, un grand crucifix entre la Sainte Vierge et Saint Joseph veillait. Avant de s'endormir, toute la famille récitait une prière en regardant Jésus sur la croix. 

Petit Joseph aimait cet instant. Maman et papa parlaient doucement, mais petit Joseph tendait, tendait l'oreille. Papa disait : 

‑ j'ai compté nos sous, on arriverait juste à vivre si nous n'avions pas besoin d'acheter le bois du gros Jules, et pourtant ce bois, il ne lui appartient pas, car il est descendu avec l'avalanche du printemps dernier. Maintenant il est dans le torrent. 

‑ comment faire répondait la douce voix de maman ?

‑ il me faudrait des ouvriers, car tout seul, je ne pourrai jamais soulever ces billons, mais des ouvriers, il faut les payer ! Et si nous prenions dans les économies, nous aurions faim et nos petits tomberaient malades, déjà que Jeannot n'est pas trop solide !

Petit Joseph priait, priait et dans le silence de la nuit, il n'entendait plus que les respirations régulières de ses parents. Il n'arrivait pas à dormir. 

‑ que faire disait‑il que faire ?  Je suis encore si petit et trop petit pour porter ces bois.  

Un bruit bizarre attira son attention, comme si quelqu'un frappait son tiroir à coups réguliers. D'abord effrayé, l'enfant ouvrit tout grand ses yeux, et il le vit ! 

Magnifique ! A peine 14 centimètres de haut, un lutin lui faisait signe en mettant son doigt sur la bouche.

‑ chut ne crie pas, n'aie pas peur !

Il avait sur sa tête un bonnet rouge pointu, vêtu d'une chemise longue bleue, elle était serrée à la taille par une ceinture de cuir où pendait un sac à outils. Son pantalon était pris dans ses bottes faites en laine de poils de chevreuil. Ses petits yeux rieurs étaient pourtant sérieux, et ce qui lui donnait un air adorable et bon, c'était sa longue barbe blanche toute douce. Caché sous l'oreiller de petit Joseph, il avait tout entendu, la conversation de papa et les prières de Joseph.  

‑ je vais t'aider, dit le lutin à mi‑voix. 

‑ comment demanda Joseph, tu es si petit ! 

‑ ne pose pas de question, et demain à minuit, alors que la lune sera pleine, viens dans la clairière où coule le torrent. C'est là que nous prendrons le bois pour ton papa. 

‑ oui dit petit Joseph en tremblant...la nuit à minuit, mais comme il allait avoir peur ! 

‑ surtout ne parle de cela à personne murmura encore le lutin, et aussi rapidement qu'il était venu, le lutin disparut. 

- Debout paresseux, c'est l'heure de se lever. 

‑ ô maman laisse-moi dormir encore un peu.. 

‑ non, tout le monde t'attend pour manger, allons viens, petit Jo, on dirait vraiment que tu n'as pas dormi.  

Vaquer à ses occupations, jouer avec son petit frère, sortir les moutons, nettoyer l'écurie, faire du feu quand on a la tête ailleurs, que cela est difficile. La journée se traînait et maman ne se décidait pas à ranger la vaisselle du soir. Petit Joseph avait hâte d'aller se coucher. 

‑ mais qu'as‑tu donc ce soir mon grand, tu sembles bien nerveux commentait maman.  

Durant sa prière, il regardait Jésus, priait pour que le lutin existe. Il fallait que cela soit vrai. Alors que maman et papa, terminaient leur Notre Père, petit Joseph le recommençait.... 

‑ quelque chose ne va pas chez le grand fils, chuchota papa à maman, il faudra le surveiller un peu ces jours prochains ! 

On n'entendait plus rien maintenant. Uniquement les moutons qui cherchaient une place pour dormir. C'était le calme de l'alpe, le froid avait pris possession de la nature, les étoiles scintillaient, la lune montait derrière les mélèzes. Petit Joseph luttait contre le sommeil.  

A minuit, des petits coups furent frappés contre le tiroir. Le lutin était là. 

‑ viens petit Joseph, habille‑toi bien chaudement, on t'attend dehors.

Marcher dans la nuit, quand bien même il y a un petit lutin, n'encourageait pas notre garnement qui tremblait de tous ses membres. Ce qu'il vit dans la clairière, le cloua sur place. Des dizaines de lutins transportaient le bois à la lueur de la lune et des étoiles. Le spectacle était si extraordinaire que petit Joseph se frottait les yeux. 

‑ je rêve disait‑il je rêve ! 

Son ami le lutin Casimir, était un chef. Il ordonnait, courrait de‑ci, de là, sans élever le ton et tous obéissaient. En quelques heures, les beaux et gros billons de bois que l'avalanche avait transporté jusque dans le fond du torrent étaient tous empilés devant la maison de pierre de ses parents. Joseph jubilait, chahutait un peu. 

‑ calme‑toi dit Casimir, maintenant que le travail est terminé, nous allons repartir, ton papa sera heureux demain.

Petit Joseph ne voulait pas que les lutins s'en aillent et il se mit à pleurer. Le lutin Casimir se glissa dans le col de la grosse veste que maman lui avait cousu l'an passé. 

‑ ne pleure pas, nous allons retourner chez nous, mais n'oublie pas que partout, il y a un petit monde de lutin et lorsqu'ils voient le chagrin des petits enfants bien sages, se montrent et peuvent les aider. 

‑ adieu petit Joseph, et le lutin lui mit un énorme baiser sur la joue. 

Dans le silence de la nuit revenue, il ne restait de réel que l'énorme tas de bois, gigantesque, sous les rayons de la lune. Petit Joseph pleurait si fort sur son billon, qu'il en réveilla son papa. 

‑ mais que se passe‑t‑il ?

‑ papa, mes amis les lutins... ils sont repartis !  Papa eut vite fait de comprendre, car lui aussi dans son jeune âge, il avait vu des lutins.  

‑ ne pleure pas mon garçon, tu sais, grâce à toi, à ta gentillesse, à toutes tes prières, les lutins sont venus nous aider. Cet hiver nous aurons chaud, et nous aurons de quoi manger. Nous n'oublierons pas les lutins, chaque nuit de l'hiver, on leur mettra une bougie devant la porte de la grange, s'ils avaient envie de se réchauffer un peu! 

‑ et tu sais dit encore papa, ils aiment bien les friandises.  

Déjà petit Joseph, épuisé par les émotions dormait dans les bras bien chauds et tendres de son papa, qui l'emporta dans son lit à tiroir. 

‑ merci les lutins dit papa en franchissant la porte de la petite maison de pierre.