C'est une histoire que les gens se racontent volontiers dans les chaumières le soir au coin du feu. 
 
Grand mère Tartine habite à proximité du village. Agée de huitante cinq ans, elle a quelque chose de captivant. Ce sont peut être ses étranges yeux gris bleus. Elle a un visage plein de rides, et un fichu bleu nuit qui lui cache presque entièrement les cheveux. 
On ne sait rien d'elle; elle vit seule et est sans ressources. Des amis, en secret lui glissent sous sa porte de temps en temps un peu d'argent pour survivre. Sou après sou, elle a économisé pour s’acheter une chèvre, toute blanche qui lui donne du bon lait qu'elle revend à des mamans désireuses de fortifier leur enfant. Grand mère Tartine donne tout son temps à cette chèvre.
 
Chaque jour, elle la conduit là haut dans les verts pâturages, là où l'herbe sent bon, où les fleurs embaument... la chèvre folâtre et aime à manger toutes ces bonnes choses. Elle sait que Grand mère Tartine est heureuse d'avoir son bon lait. Le soir venu, Grand-mère Tartine s'occupe de sa compagne la chèvre, et lui prépare une bonne litière dans un coin du petit mazot. Toutes deux cohabitent, elles sont heureuses d'être ensemble, et après avoir mis le petit bocal bleu sous la poutre du mazot pour les lutins, Grand mère Tartine raconte sa vie à sa compagne. 
 
D'antan elle avait été une grande dame. On venait lui demander des conseils, lisant beaucoup, elle ne manquait jamais d'aider de son savoir les autres. 
Grand mère Tartine n'est plus que sagesse et gentillesse. Les lutins vivent sous les fondations du chalet. Elle les entend le soir, animer la petite maison d'un doux murmure.
 
Le matin, le petit pot est vide, tout propre. Parfois elle y trouve une jolie fleur. Ah qu'elle les aime ces lutins invisibles.
 
Ce jour là, Grand mère Tartine glisse sur les herbes mouillées par la rosée du matin. Sa tête heurte une grosse pierre et elle sombre dans le néant. 
 
La chèvre apeurée se mit à pleurer, à implorer et bientôt pensa à taper de ses sabots le plancher du chalet. Très vite, la maisonnée s'anime. Toute la famille des lutins a entendu l'appel de la chèvre. Ils fabriquent un brancard fait de branches d'arbre et de paille. La chèvre se propose de le tirer. On installe avec peine Grand mère Tartine toujours évanouie. La chèvre tire, tire. Les lutins veillent et empêchent Grand mère Tartine de tomber. On réussit à grand peine à la hisser sur son lit.
 
Toutes les petites lutines se chargent d'elle, et la déshabille avec délicatesse. Pour la première fois, tous peuvent admirer les merveilleux cheveux blancs d'habitude emprisonnés dans le fichu bleu nuit. Les lutins lui mettent des compresses d'eau vinaigrée sur la tête, lui font un bandage et restent à surveiller le premier signe de réveil, ce qui ne tarde pas.  
Grand mère Tartine étonnée de se retrouver sur son lit, laisse une grosse larme couler le long de ses bonnes vieilles joues, tant elle est émue par ce rassemblement.
 
merci mes petits amis, merci répète elle.
 
En voyant sa chèvre, toute silencieuse dans son coin elle se remet à pleurer. Comment allait elle la conduire dans les beaux prés et surtout comment faire pour apporter le lait aux mamans ? Mais les lutins y ont aussi pensé. 
 
ne vous en faites pas, nous allons vous aider   
 
C'est ainsi que chaque jour, on peut voir sortir du petit mazot de Grand mère Tartine, quelques lutins tenant une corde, afin de conduire la chèvre vers les hauts pâturages. Le soir, le retour au chalet est unique. Les lutins heureux et rieurs se cachent dans les longs poils de la chèvre qui trotte allégrement. Puis ils reprennent le brancard improvisé et chaque maman trouve derrière sa porte le lait de chèvre si bon pour l'enfant qu'elle chérit.
 
Pendant tout ce temps, les lutines ont continué les compresses sur la tête de Grand mère Tartine qui se remet de jour en jour. Enfin arrive le temps où accompagnée de tous les lutins de son mazot et de sa chèvre, Grand mère Tartine fait ses premiers pas devant la maison. Une ovation retentit, ils sont tous tellement heureux.
 
Le lutin le plus âgé lui dit : 
 
Voyez vous Grand mère Tartine, cela fait bien longtemps que vous croyez en notre existence, et pour nous, votre accident a été l'occasion de sortir de notre cachette. Mais surtout de vous rendre d'une manière différente tous les petits pots bleus si plein du bon lait de votre chèvre. Vous ne nous avez jamais oubliés, et malgré votre pauvreté vous avez consacré du lait pour nous. Nous voulons vous dire un grand merci. 
 
Vous voyez mes petits amis, un bienfait n'est jamais perdu.