Le soleil éclate dans le ciel bleu limpide. Le vent balaye le sol, emportant sur le dos des pins et des arolles, le sable fin de la rivière. C'est dans le creux d'un de ses bras qu'a poussé et grandi "petit mélèze".
 
En cette période du mois de septembre, il ressent cette tristesse qui engourdit ses membres durant les métamorphoses. Ses amis, les sapins, les pins et les arolles restent plus verts que jamais. Lui, il pâlit. 
 
Dans un mois, il aurait cette couleur de feu, ce jaune doré qui le rend alors fier et heureux. On vient de partout l'admirer, on le photographie. C'est vrai qu'il est beau. Les demoiselles des forêts guettent sa transformation, l'oiseau aime se poser sur ses branches douces, dorées, chaudes.
 
Les gens de la ville, pendant cette courte période, caressent le bout de ses longs bras qu'ils tentent vainement d'allonger le plus possible, afin de recevoir un maximum de tendresse.
 
Notre petit mélèze a tellement besoin d'amour!  Dans cinq à six semaines, il sera tout nu car ses aiguilles commenceront à tomber. Les belles dames de la forêt ne l'entoureront plus de leurs doux bras. Les oiseaux passeront sans s'arrêter. Il sera laid et se lamente...
 
C'est aux environs de Noël, que "petit mélèze" est le plus triste, la neige recouvre le sol, les sapins sont beaux et lourds sous ce manteau blanc. 
 
Lui, il est nu, la neige ne reste pas sur sa pauvre ossature.
... ah que je suis laid... personne ne m'aime plus... et il pleure, il pleure.
 
La fée, des bois profonds, a entendu ses lamentations.
 
... il faut l'aider se dit-elle, il est si petit, si mignon, et l'été il distribue tellement de bonheur, l'automne tant de lumière. S'approchant, la fée lui dit:
 
- puisque tu désires tant changer, je vais te donner la joie d'être. Tu vas devenir un arbre à "baisers". Lorsque tes épines de soleil tomberont, il te poussera pour toute la période de l'hiver, des "baisers" de tendresse que tu donneras à ceux qui passent et qui manquent d'affection et de tendresse.
 
Durant la nuit, petit mélèze sent de drôles de picotements, ses pieds tremblent, ses bras se tordent et s'alourdissent sous un poids sans cesse renouvelé. Petit mélèze dans la nuit trop noire de ce mois de décembre ne dort pas, il attend la venue du matin avec anxiété. Comment va-t-il se découvrir ?
 
C'est au petit jour, lorsque les grandes montagnes se dessinent dans le ciel, lorsque le soleil inonde de sa lumière les hauts glaciers, que dans l'ombre de la plaine, caché dans le creux des bras de la rivière, il se vit, dans l'eau limpide, couvert de petits coeurs d'une couleur rouge. Il a aussi l'impression d'avoir chaud et murmure: merci, petite fée.
 
Le soleil n'est pas haut dans le ciel que déjà les premières personnes se précipitent pour arracher à petit mélèze, un ou deux petits baisers en forme de cœurs. D’abord, ce sont les amoureux du village qui arrivent, oubliant même de demander la permission d'enlever des petits coeurs rouges, littéralement arrachés de la branche, y laissant une marque de douleur.
 
- Arrêtez, ne tirez pas sur mes cœurs ; ouille, ouille, ouille. La journée est une journée de torture, on vient de partout pour lui arracher ses coeurs; l'horreur est à son apogée lorsqu'un couple garant leur voiture à l'orée de la forêt, se met à casser les branches de "petit mélèze" pour garnir leur maison. Il hurle de douleur profonde... la fée qui est à l'origine des baisers en forme de coeurs, se dresse devant lui.
 
- Ne pleure plus petit mélèze, tu as compris n'est-ce pas combien on peut souffrir, à force de vouloir paraître. Dorénavant, contente-toi d'être !
 
La neige qui tombe cristalline ne fait qu'effleurer les longs bras cassés de Petit Mélèze, mais le froid a anesthésié ses douleurs, il est heureux de n'être plus qu'un petit mélèze nu, que le poids de la neige épargne!
 
Qu'il a été bête de se plaindre, se pelotonnant au milieu de ses racines profondément en terre, il n'entend plus le vent, ne sent plus la neige, mais est envahi par un bienheureux repos, sa respiration régulière va l'amener au printemps...
 
L'an prochain, renaissant plus fort, grandi par l'expérience passée, il pourra pousser bien droit, sa cime pointée vers le ciel !!